Le sanctuaire



Les fouilles menées de 2001 à 2005 ont montré l’existence d’un sanctuaire daté de la fin de l’époque gauloise (environ 150 à 50 avant J.-C.). Son enceinte est délimitée, à l’origine, par une haute palissade en bois, implantée dans un profond fossé creusé dans le substrat. Cette première délimitation de l’espace sacré est remplacée, au premier siècle avant notre ère, par une galerie monumentale sur poteaux de bois. Elle fait place, au début de l’époque romaine, à une colonnade en pierre.
Deux bâtiments rectangulaires ont été découverts au centre du péribole, entourés de fossés et de palissades en bois, décorés de crânes et de mâchoires attachées en guirlandes. Leurs abords étaient jonchés de milliers d’ossements et tessons d’amphores, associés à des ustensiles culinaires en métal : chaudrons, couteaux, fourchettes, passoires céramiques… Ces reliefs alimentaires sont directement liés à l’activité cultuelle : ils correspondent à des tonnes de viande et des hectolitres de vin, consommés dans le cadre de banquets.
Le fossé d’enceinte a livré d’autres offrandes caractéristiques des sanctuaires de cette période : des crânes humains, associés à des ossements de cheval, de boeuf, à des fragments d’épées et de boucliers, des fibules, des perles en verre et en bronze, une figurine de sanglier, des pièces de char, illustrent le rôle central du sanctuaire dans la vie religieuse, politique et économique des Arvernes de la fin de l’âge du Fer.
Le sacrifice d’amphores

A Corent, plus de de cinq tonnes d’amphores ont été recueillis lors de la fouille du sanctuaire. Leur consommation dans l’enceinte sacrée ne fait aucun doute et les quantités mises au jour montrent qu’elles devaient être ouvertes, vidées, servies et partagées, puis intégrées à la mise en scène de l’enceinte sacrée.
Bien attesté dans les sanctuaires gaulois, le décolletage des récipients par lame est prouvé par la présence de bouchons conservés dans les cols, dont le matériau organique se conserve mal. A Corent, un col retrouvé sous la galerie périphérique, encore partiellement obturé par la couche de mortier en pouzzolane qui scellait l’opercule, atteste de cette pratique.
D’autres amphores portent également de nombreuses traces d’impacts et de fractures hélicoïdales, caractéristiques d’un coup de lame porté à la base du col.
Cette forme de décapitation symbolique des récipients, est comparable à celle des victimes animales ou humaines : lors du sabrage, le vin jaillit comme le sang du sacrifice et se répand à terre, où il est « ingéré » par les divinités. A Corent, cette part « sacrée » est déversée dans des cuves en bois semi-enterrées, dont on a pu retrouver la trace lors de la fouille. Elles se présentent sous la forme d’amas d’amphores organisés, formés de panses et des cols complets, disposés en couronne, l’embouchure tournée vers le bas. De petites cavités quadrangulaires en occupent le centre.
La part de vin qui subsiste dans la panse des récipients est consommée ensuite par les participants aux cérémonies, à l’aide de seaux en bois cerclés de métal ou de grands vases retrouvés parmi les amphores. Au terme des opérations, ces dernières sont détruites sauvagement à l’aide d’armes et d’outils et leurs tessons dispersés aux quatre coins du sanctuaire, dont ils encombrent la cour ou pavent les sols.
Le sacrifice du mouton
Comme dans toutes les civilisations antiques, le sacrifice animal est l’acte religieux par excellence. Egorgé à l’aide d’un grand couteau en fer ou en bronze, une tête de bétail prélevée sur le troupeau (mouton, chèvre, porc, boeuf) est consacrée à la divinité. A Corent, il semble que le sacrifice du mouton ait été privilégié au regard des dizaines de milliers d’ossements recueillis.
Le sang des victimes est recueilli et déversé dans une fosse, en guise d’offrande aux divinités souterraines. Les déchets issus de la découpe (tête et pattes) sont également offerts aux dieux : crânes et mâchoires sont accrochés aux bâtiments et permettent de comptabiliser les sacrifices effectués dans le sanctuaire.
Les morceaux riches en viande sont emportés pour être préparés et consommés, dans le cadre de banquets, partagés entre fidèles.

La préparation du banquet


A Corent, les opérations de sacrifice font place à la préparation d’un festin directement dans l’enceinte du sanctuaire. Les morceaux de viande sont grillés au feu à l’aide de crocs en fer, cuits en bouillies dans des pots en céramique ou dans de grands chaudrons en fer. D’autres denrées stockées et préparées sous le portique alimentent les banquets : poissons, pains…
La fouille du quadriportique délimitant la cour centrale du sanctuaire a permis de mettre en évidence ce type de pratiques. A la différence de l’espace central, caractérisé par des ossements exhibés à l’attention des divinités, la galerie a livré des reliefs alimentaires caractéristiques de pratiques de consommation cuisses, épaules et gigots, grils costaux et autres parties charnues, présentent pour la plupart des traces de découpe.
Pavé de tessons d’amphores, le sol est jonché de restes culinaires comportant des traces de cuisson. Il a également livré plusieurs fragments métalliques provenant de chaudrons ou des crémaillères servant à leur suspension, des barres de gril, des couteaux de taille diverse, ainsi qu’une extrémité de fourchette en fer. Cette combinaison d’ustensiles montre que les chairs étaient aussi bien rôties et grillées que bouillies, conformément à la description de Posidonios. La découverte d’une louche et d’une cuiller en fer évoque des préparations raffinées, faisant peut-être appel à certains arômes et épices.
Le trophée militaire
Un ensemble d’une dizaine d’objets en fer et en alliage cuivreux a été mis au jour dans une tranchée de fondation de mur en terre délimitant la façade nord du sanctuaire. Répartis et superposés sur une surface d’environ 1 m de rayon, ce dépôt a sans doute été enfoui intentionnellement.
On dénombre en effet la présence de quatre coques centrales de bouclier en fer (umbones), d’une plaque de fourreau d’épée, de deux ferrures et surtout, d’un important amas ferreux attribuable à une cotte de maille conservée en grande partie. A cet ensemble s’ajoute une crête de sanglier-enseigne en tôle de bronze, déposée à proximité.
Trois des umbones découverts portent des traces de mutilation volontaires. La cotte de mailles, dont les différentes parties ont été empilées les unes sur les autres, a fait l’objet de découpes, tout comme le fragment de fourreau. Tous ces stigmates résultent de la destruction rituelle des armes qui a précédé leur enfouissement. La ête de sanglier-enseigne n’en a conservé aucune trace, mais l’absence du sanglier témoigne de sa désolidarisation, qui s’apparente à une forme de mutilation.
Au vu de la complémentarité fonctionnelle des objets et des manipulations qu’ils ont subies, cet ensemble peut être interprété comme les vestiges d’un trophée guerrier (en grec tropaion), exposé à l’origine contre le mur d’enceinte du sanctuaire. La composition du lot renvoie directement aux représentations transmises par l’iconographie classique (arc d’Orange, temple d’Athéna Polias Niképhoros à Pergame, monnaies césariennes…), qui attestent la confection de mannequins parés des armes ennemies dédiées aux divinités.
Pour en savoir plus (article « le trophée » dans « les dossiers de l’archéologie » 2011)

